Poésie française  

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit, sonne l'heure
Les jours s'en vont, je demeure

Le poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer
Exilé sur le sol au milieu des huées
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre et m'aime et me comprend

Vous me connaissez mal, la même ardeur me brûle
Et le désir s'accroît quand l'effet se recule !

C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière
Luit ; c'est un petit val qui mousse de rayons

Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices Suspendez votre cours
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours

Demain dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal
Fatigués de porter leurs misères hautaines
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal

Mon bel amour, mon cher amour, ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent

Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur